Entretien avec CGI

Fabrice Rigolo

Directeur Qualité et RSE

Télécharger la publication
Mars 2020

Pour cette édition, nous avons échangé avec Fabrice Rigolot, directeur Qualité et RSE de CGI. En tant que leader du conseil et des services numériques, CGI considère le Green IT comme un besoin interne immédiat, aussi bien qu’un défi global au sein duquel elle souhaite exercer un rôle de moteur. CGI a placé la « Tech for Good »au cœur de sa stratégie d’entreprise et lance dans ce sens de nombreuses initiatives. Pour son responsable RSE cependant, une vision globale et agissante, intégrant l’ensemble des expertises, reste encore à définir. Un changement de paradigme paraît nécessaire pour faire émerger cette vision et il faudra certainement repenser en profondeur nos modèles économiques et nos relations entre parties prenantes.

AGIT: Parlez-nous de votre entreprise..

F.R: CGI est une entreprise internationale créée au Canada en 1976.Nous avons quatre métiers : le conseil, l’intégration de systèmes, l’outsourcing et les solutions. Après plus de quarante années de croissance continue, en organique et par acquisition, nous comptons aujourd’hui près de77 500 collaborateurs dans une quarantaine de pays. En 2020, nous prévoyons de recruter 2 800 personnes en France pour soutenir notre développement.

AGIT: Quelles sont, selon vous, les forces à l’origine de la croissance de CGI ?

F.R: La force de CGI repose sur un alignement mondial. L’entreprise s’est dotée très tôt d’assises de gestion. Elles permettent d’instaurer un langage et un référentiel communs, utilisés pour l’ensemble des activités de l’entreprise, de l’opérationnel au top management, applicables dans tous les pays où nous  sommes implantés. Ce cadre fort se traduit par une grande capacité à travailler ensemble et à coopérer quelques soient les projets. Ce cadre permet pour nos membres de toujours connaître leur rôle, leurs responsabilités et celles des autres, ce qui leur permet d’être efficaces dans leurs activités quotidiennes. En même temps, ce cadre a le souci de ne pas aller trop dans le détail dans la manière d’implémenter les opérations en local, afin de laisser un amortisseur et une adhérence propres des activités à chaque région et leur culture. La structure hiérarchique de CGI est également une force. Pour aller d’un ingénieur débutant jusqu’au président, il y a seulement quelques niveaux. Les chaînes de discussion et d’échanges sont simples et courtes. Les initiatives locales sont facilement remontées au plus haut niveau et redescendent rapidement après discussion, ce qui permet d’enrichir notre activité des meilleures pratiques en amélioration continue. Ce cadre et les compétences de nos membres permettent finalement d’assurer des livraisons de qualité reconnue par le niveau des notes de satisfaction de nos clients.
 
 
AGIT: Ce langage commun est-il un atout pour votre démarche RSE ?

F.R: Notre démarche RSE profite de cette dynamique, de la fluidité avec laquelle circule l’information. En matière de responsabilité sociétale, environnementale et sociale, les pays européens ont plus de directives et de cadres légaux, ce qui a permis aux opérations européennes de CGI d’être en avance de phase par rapport aux autres géographies de l’entreprise. Très tôt par exemple, l’ensemble des sites CGI France ont été certifiés 14 001, une démarche nécessaire bien sûr mais pas suffisante puisqu’elle n’inclut pas les dimensions sociales et sociétales. La RSE CGI européenne a servi de référence pour définir la RSE groupe maintenant inclue dans nos orientations stratégiques globales. Mais,dans une entreprise d’envergure mondiale comme la nôtre, il est important de s’accorder sur les définitions, d’avoir des KPI communs, car la RSE n’est pas perçue de la même manière d’un pays à l’autre. En Amérique du nord par exemple, la CSR (Corporate Social Responsability) peut avoir une dimension davantage philanthropique vis-à-vis de communautés locales.Notre référentiel partagé donne la possibilité de rendre effectif un effort commun sur des sujets comme la RSE. Notre groupe attache une grande importance à l’obtention d’un référentiel commun mondial, ce qui permet à notre approche RSE d’être cohérente au niveau corporatif global, et d’obtenir le sponsoring des plus hautes instances de l’entreprise pour son déploiement généralisé. En ce sens, ce cadre est primordial pour favoriser une écoute compréhensive des différentes parties prenantes de l’entreprise, renforcer notre capacité à innover tout en assurant une cohérence et facilitant une acceptation groupe d’un déploiement global.

AGIT: Pourquoi pensez-vous que le Green IT est un sujet important ? Quels sont les enjeux propres à votre secteur d’activité? 

F.R: Le Green IT concerne d’abord toutes les entreprises car toutes utilisent le numérique. Il soutient leur activité, engendre des coûts et a un impact global sur l’environnement. En tant qu’entreprise, Il est nécessaire d’avoir une réflexion sur l’optimisation de chacune des facettes ci-dessus. Mais, pour les ESN qui construisent et vendent des produits et services IT, la problématique prend encore davantage d’ampleur. En tant qu’acteur de la transformation numérique, CGI doit être à l’avant-garde des réflexions sur l’impact du numérique dans un monde aux ressources limitées dont certaines sont non renouvelables. Aujourd’hui, se demander « quelle est la place de l’IT ?, Comment réduire son empreinte tout en le déployant pour le bien commun ?» fait partie des grandes réflexions en cours et elles sont importantes. Il s’agit de questionner la notion d’usage et la manière de penser et construire la solution portant cet usage. Si nous arrivons en phase d’avant-vente à ciseler le cahier des charges avec le client en faisant si nécessaire intervenir nos experts, en se demandant « est-ce que cela répond vraiment aux attentes utilisateur ? Ces fonctionnalités doivent-elles être montées en mémoire à ce moment-là ? Est-il nécessaire de sauvegarder ces données ?», cela peut avoir un impact significatif sur l’empreinte de la solution résultante qui, rappelons-nous en, va s’opérer de nombreuses années dans le SI (système d’information) du client. Une application « sobre » « Eco-conçue », dont l’impact global a été pris en compte en amont sollicitera moins de matériel, de ressources et d’énergie pour rendre le même service à l’utilisateur ; Enfin… si elle est, de plus, éco codée. Il serait en effet dommage d’arrêter ses ambitions vertueuses pour l’environnement en phase de design, et ne pas éco-coder la solution ! Une démarche complète et cohérente Green IT permet d’abaisser l’impact de la solution numérique sur l’ensemble de son cycle de vie tout en représentant une opportunité, elle ne met pas dos à dos responsabilité environnementale et business.
 
AGIT: Quel a été le cheminement pour intégrer une démarche Green IT au sein de CGI ?

F.R: La première étape a été de faire un exercice d’introspection à la Socrate du type « Connais-toi toi-même», de se poser les bonnes questions, définir l’ensemble du scope de nos impacts, de pointer les plus importants et les prioritaires, de définir les principaux leviers. Il s’agit d’arriver à trouver le juste équilibre entre les projets de réflexion de long terme et ce que nous pouvons mettre en place rapidement sur le plan opérationnel car nous en avons les capacités. Pour notre IT interne, notre objectif est qu’il soit efficace, taillé pour nos besoins, avec le moins d’impacts possible, d’avoir un outil qui ne surconsomme pas en matériel, logiciel, stockage et infrastructure. Nous avons une approche green, mais nous développons aussi notre IT comme un outil interne d’intégration sociale, dans un positionnement de réflexion globale RSE. Nous souhaitons que l’IT soit inclusif des diversités de notre entreprise, accessible par exemple aux personnes en situation de handicap. Nous avons finalement la même responsabilité au regard de nos clients. Nos projets internes doivent nous fournir l’opportunité de monter en compétences sur ce qui devra devenir une expertise multi facette pour CGI. D’abord, développer une réflexion dans un axe business consulting pour pouvoir mettre en œuvre notre devoir de conseil et d’accompagnement en matière d’usage responsable des technologies. En addition, savoir implémenter des solutions inclusives et durables. CGI conseille, construit, maintient, optimise.Nous devons veiller à abaisser l’impact global des produits et services envers nos clients et des opérations internes que nous mettons en œuvre pour se faire.

AGIT: Pensez-vous être arrivé à maturité sur ces sujets ?

F.R: Sur la vision et compréhension de ce que notre responsabilité devrait inclure, peut-être, bien que nous continuons à compléter notre approche. Nous avons conscience que CGI a encore des progrès à faire et ne sommes pas encore satisfaits. Nous devons nous assurer de gérer la convergence de flux sur ces sujets entre déclinaison stratégique de la direction générale locale et attentes de nos nouvelles générations. Les chantiers sont nombreux, nous plantons des graines. Nous avons un certain nombre d’initiatives et de résultats qui forment un tableau pointilliste dont chaque point est à un degré d’avancement particulier. Il faut souvent prendre du recul pour avoir une vue d’ensemble du tableau, vérifier la viabilité et la cohérence du tout. Nous ne voulons pas « planter des arbres » pour compenser et nous dédouaner d’une réflexion incontournable et des actions d’envergures qui vont avec. Mais sur certains sujets, nous nous retrouvons à devoir réfléchir et traiter « apriori » des sujets complexes qui avaient l’habitude d’être traités a posteriori, lorsque les solutions avaient été livrées et que leurs problèmes d’usage, d’éthique ou de modèles d’affaire forçaient tardivement à y réfléchir, voire légiférer. Les Hommes ont par le passé conçu des solutions sans beaucoup de considération pour les critères environnementaux, sociaux, sociétaux: il s’agit désormais de corriger a priori, en phase de design, les dérives de ces solutions. En même temps, les questions soulevées par les disruptions technologiques, l’appétence pour ces dernières et leurs usages, leurs nouveaux modèles d’affaire évoluent à un rythme soutenu qu’il faut suivre. Nous avons une position privilégiée pour assurer que ces sujets soient pris en compte mais nous ne sommes pas légitimes pour définir unilatéralement des cadrages à ces questions. Il est alors important d’élargir les parties prenantes à la réflexion, de convoquer d’autres connaissances comme les sciences sociales, d’inclure philosophes, économistes, anthropologues, législateurs, société civile, corps académiques. De manière générale, nous savons que nous ne pouvons pas porter l’entièreté de la réflexion. Pour que le Green IT trouve son modèle, les solutions émergeront d’un effort collectif, dans lequel chacune des parties prenantes occupera sa juste place.

AGIT: La nécessité de répondre à un défi commun, la transition écologique, pourrait-elle provoquer de nouvelles formes de coopération entre les différentes parties prenantes de l’entreprise ?

F.R: Nous avons, j’en suis sûr, une volonté commune mais pas forcément de réponse commune, qui nous permette aujourd’hui de dégager un nouveau modèle, en relation avec l’urgence du défi actuel. Nous avons déjà esquissé précédemment un changement de relation client / fournisseur possible dans les phases amont des échanges. Le changement de paradigme commence là. Comment fournir à nos clients des solutions répondant aux besoins fonctionnels, robustes, sécurisées et inclusives mais qui de plus sont sobres et concourent ainsi à réduire leurs émissions de CO2 ?  Notre certificat 14 001 nous permettrait d’avoir une usine de production verte, mais produisant des aberrations environnementales. Ces aberrations seraient alors ce que nous livrons à nos clients. Elles concourraient à LEUR bilan carbone… et finalement à NOTRE bilan carbone global à tous. Est-ce responsable ? Pour s’assurer que nous nous fixons les lignes de force appropriées, pour accélérer nos réflexions et le déploiement de solutions efficaces, nous nous ouvrons à des parties prenantes externes qui n’étaient initialement pas naturellement dans notre scope. Parfois cela inclut nos « concurrents » que nous pouvons rencontrer dans des groupes de réflexion sur les sujets qui nous occupent ici ou, chez des clients communs pour co-construire des réponses viables et pérennes dans le cadre de contrats cadres long terme. Se pose ici une problématique nouvelle que ces nouveaux modèles et partenariats nous forcent à traiter, entraînant potentiellement de profondes mutations dans les relations habituelles plutôt hermétiques. Quid du différenciateur concurrentiel d’une entreprise, apporté par ses expertises spécifiques, de la protection de sa propriété intellectuelle, souvent issue d’investissements importants. Comment établir l’équation intégrant protection de son entreprise, transparence des échanges sur des savoir-faire cœur de métier et urgence d’apporter sa contribution à l’effort commun nécessaire ? Le changement de paradigme continue ici.

AGIT: Pouvez-vous nous donner desexemples d’actions menées par CGI ?

F.R: Nous menons au sein de CGI différentes initiatives dont notre certification14 001 est une ligne de force, mais cela n’est pas suffisant. Nous travaillons sur l’écoconception du code et avons à ce titre contribué au livre blanc de l’AGIT sur le sujet, dans un objectif de déployer ces meilleures pratiques dans l’ensemble de nos opérations. Nous finalisons l’outillage d’autoévaluation environnementale de chacun de nos projets. Nous travaillions aussi à l’étude d’impact des différents modèles d’équipe projet. Nous profitons de la  rénovation d’une partie de notre SI pour monter en expertise sur la maîtrise de ces sujets. Ensuite, comme évoqué plus tôt, nous travaillons beaucoup sur l’inclusion, en écho à la récente transposition de la loi européenne sur l’accessibilité numérique. Nous soutenons des start-ups qui mettent le numérique au service de l’inclusion. Nous sommes co-fondateurs de la Handitech avec JobinLive, en partenariat avec Bpifrance et l’APF France Handicap, association ayant pour vocation de fédérer, coordonner et promouvoir l’ensemble des acteurs qui innovent ou soutiennent l’innovation au service des personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie. Nous menons des actions de solidarité comme « Branchés sur vos rêves » qui accompagne nos collaborateurs ayant des projets liés à la Tech for good. Nous sommes membres du Club Innovation sociale, fondé par l’agence Les Petites Rivières, spécialisée en conseil en innovation sociale et économie sociale et solidaire (ESS). Nous avons besoin de davantage de KPI, de référentiels, de méthodologie, de meilleures pratiques qui nous permettent d’être en amélioration continue. Comme cela n’existe pas concrètement, nous créons des partenariats pour gagner en maturité. C’est pour cette raison que nous sommes à l’AGIT, mais aussi pourquoi nous sommes partenaires de la chaire Good in Tech de l’Institut Mines-Télécom Business School - Sciences Po. Innovation numérique responsable : quelles mesures ? Développer des technologies responsables « by design » ; Principe d’égalité appliqué au monde connecté  Gouvernance de l’innovation et des technologies responsables… sont autant de thèmes au centre de l’engagement responsable de CGI.

AGIT: Pourquoi avez-vous rejoint l'AGIT ? Quelle est votre implication dans l'AGIT à ce jour ?

F.R: Cela nous a paru évident car nous n’avons pas réponse à tout et l’AGIT, grâce à l’intelligence collective, exprime les meilleures pratiques dans des sujets qui nous préoccupent. CGI souhaite s’impliquer sur des sujets qui émergent, mais n’ont pas encore été traduits. Nous souhaitons aussi contribuer à ce travail. En tant qu’entreprise responsable, nous nous devons d’apporter notre énergie. Nous sommes prêts à échanger sur nos avancées pour nous nourrir mutuellement. Récemment, nous avons participé au groupe de travail sur les impacts sociaux du numérique dont le Livre Blanc sort sous la forme de 10 guides tout au long de l’année. Nous avons été partenaire de l’événement « WE LOVE GREEN IT 2019 »sur le même thème, où nous avons eu l’occasion de présenter notre investissement dans la chaire Good in Tech. Certains de nos salariés ont participé au challenge Design4Green organisé par l’AGIT et l’ESAIP en décembre dernier.
Partager sur