Thématique 1 - Relation Employeur-Employé

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Nous avons ici cherché à identifier, dans ce cadre, les évolutions des relations employeur-employé causées par les outils numériques et à lister leurs différents impacts. Les outils numériques modifient ces relations au sein de l’organisation, tout comme ils redessinent les frontières de l’organisation et ses relations avec l’extérieur. Ainsi, des tâches, auparavant assurées par des salariés de l’entreprise, peuvent l’être désormais par des entreprises prestataires ou des travailleurs indépendants. On passe ainsi d’une relation salariale à une relation commerciale.

Ils font également évoluer les conditions de travail, en témoignent le télétravail, le nomadisme numérique, le renouveau de formes alternatives d’organisation et de gouvernance telles que les entreprises libérées et les coopératives, mais également le retour en force du travail payé à la tâche (qui est à la base des plateformes de mise en relation et de livraison telles que Deliveroo, Uber et Task Rabbit). La place croissante que les outils numériques occupent dans notre société implique en outre des créations et destruction massives d’emplois, notamment liées à l’automatisation accrue qu’ils permettent et qui touche désormais des métiers intellectuels tels que ceux du juridique, des ressources humaines, de la finance, de la médecine et du journalisme.

Cette fiche met en évidence plusieurs sujets méritant une attention particulière : le recrutement, l’embauche et la gestion du personnel, le développement des ressources humaines et la robotisation / automatisation du travail. 


notions clés


Robotisation : remplacement de la personne par la machine

Ubérisation (2) : “L’ubérisation désigne un processus par lequel un modèle économique basé sur les technologies numériques entre en concurrence frontale avec les usages de l’économie classique. Ce modèle repose principalement sur la constitution de plates-formes numériques qui mettent en relation directe prestataires et demandeurs, ainsi que sur des applications dédiées qui exploitent la réactivité en temps réel de l’internet mobile. Partie prenante de l’économie collaborative, l’ubérisation se distingue cependant de la stricte économie du partage par le fait qu’elle intègre, pour une large part de son champ d’application, des offres de services de prestataires professionnels à des clients, avec prélèvement d’une commission sur les transactions par les plateformes de mise en relation.”


1. Recrutement, embauche et gestion du personnel

La première approche de la relation employeur-employé concerne le recrutement des futurs employés. Le numérique a favorisé la mise en place d’outils de recrutement diversifiés. De nombreux sites de recrutement en ligne - autrement appelés jobboards - fleurissent sur internet. Plus ou moins spécialisés, ils permettent aux candidats d’avoir accès à un panel d’offres variées, et accordent aux recruteurs une visibilité accrue. Les réseaux sociaux numériques (LinkedIn, Viadeo, Twitter, Facebook, Instagram…) offrent également un service complémentaire à cette recherche d’offres et de profils, via l’adhésion à des groupes dédiés par exemple, ou la recherche de profils par mots clés. D’ailleurs, selon l’étude Sourcing cadres 2018 de l’Apec (3), un recruteur sur deux déclare avoir utilisé les réseaux sociaux professionnels tels que LinkedIn ou Viadeo lors de son dernier recrutement de cadres. 

La gestion du personnel s’en trouve également facilitée, permettant un suivi détaillé par le recruteur de chacun de ses employés, tout au long de sa carrière au sein de l’entreprise. Les applications de géolocalisation en temps réel permettent quant-à-elles à l’entreprise de suivre en temps réel les déplacements de leurs salariés. L’avis des clients qui “notent” la prestation reçue permettent au recruteur de contrôler le travail d’un employé hors du bureau (4).

Attention toutefois aux dérives. Les systèmes de notations par le client sont subjectifs et peuvent ne pas être révélateurs de la qualité réelle de la prestation fournie. Ils sont également source de risques psycho-sociaux s’ils ne sont pas interprétés de manière adéquate (par exemple, une baisse des notes des clients peut être liée à une moindre qualité du travail de l’employé mais également à une multitude d’autres facteurs sur lesquels l’employé n’a pas forcément prise). L’utilisation dans le cercle privé des mêmes réseaux sociaux qui ont favorisé le recrutement n’est quant-à-elle pas sans dangers si elle n’est pas contrôlée et peut avoir des incidences professionnelles graves sur la carrière d’un employé. Il a été fait état, en effet, de plusieurs cas de licenciement suite à des messages dénigrant l’entreprise postés sur les réseaux sociaux .(5)

points positifs


Le numérique offre des possibilités accrues de collecte et d’analyse de données, une plus grande facilité de partage de l’information et une plus grande réactivité. Il apporte notamment la possibilité de :
  • Mieux cibler les potentiels candidats à un poste ;
  • Mieux analyser l’adéquation entre une personne et le poste qu’elle occupe, et pouvoir lui proposer des aménagements visant à favoriser son épanouissement ;
  • Mieux comprendre les comportements des salariés pour les aider dans leur travail (aide à la navigation, mail-types contextualisés, etc.) ou réduire la consommation d’énergie (maîtrise d’usage, optimisation des tournées de coursiers, etc.) ;
  • Partager plus facilement des informations relatives à la situation économique et sociale de l’entreprise, notamment à travers la base de données économiques et sociales (BDES) destinées aux représentants du personnel ;
  • Bénéficier d’une plus grande autonomie pour les salariés dans l’organisation de leur travail, notamment pour les cadres, les personnes exerçant des fonctions supports, créatives ou d’expertise 

points de vigilance


Le numérique offre également des possibilités accrues de contrôle et d’intrusion dans la vie privée des salariés. Pour un usage responsable et vertueux du numérique, il convient d’être vigilant sur :
  • L’utilisation des réseaux sociaux, outils de veille et moteurs de recherche en ligne dans le cadre des processus de recrutement. Ces outils permettent un accès à des informations personnelles et peuvent biaiser la perception d’un recruteur sur un candidat ;
  • Le risque de déshumaniser complètement le processus de recrutement en ayant abondamment recours à des outils numériques pour le mener ;
  • L’utilisation des systèmes de notation des salariés, des produits ou des services, qui apportent une information dont la qualité est difficilement appréciable et peuvent souvent devenir des facteurs de risques psycho-sociaux ;
  • Le croisement des données obtenues sur les salariés ou candidats à un recrutement à l’aide de plusieurs outils numériques, qui pose des enjeux éthiques majeurs et peut rapidement tomber dans l’illégalité (exemple : croisement de données de pointage, de géolocalisation et de vidéosurveillance pour analyser le comportement des salariés)

Recommandations


Afin de pouvoir bénéficier des bienfaits apportés par les outils numériques tout en limitant leurs travers, nos recommandations sont les suivantes :
  • Faire preuve de discernement sur les informations publiées sur les réseaux sociaux par les candidats ou les employés ;• Former les employés à l’utilisation professionnelle des réseaux sociaux ;
  • Être transparent auprès des potentiels candidats sur les données récoltées pour analyser leur candidature (et sur les critères d’analyse) ;
  • Être transparent auprès des salariés sur les usages des données récoltées à l’aide des outils numériques (et en prouver le bien-fondé) ;
  • Formaliser cette transparence sous la forme d’un accord négocié avec les instances de représentation du personnel et accessible publiquement ;
  • Entretenir un dialogue récurrent avec les représentants du personnel (et/ou les organisations syndicales) sur le recours aux outils numériques dans le suivi et l’évaluation des salariés.


2. Développement du capital humain 

Au-delà du processus de recrutement et de la gestion quotidienne du personnel, les outils numériques modifient également la manière de maintenir et développer ses connaissances et compétences. Autrement dit, ils impactent le développement du capital humain. En la matière, il s’agit de faire en sorte que les salariés disposent des compétences adéquates pour les postes qu’ils occupent ainsi qu’à leur épanouissement. Ceci vaut tout autant à un moment donné qu’au long de la carrière du salarié. En effet, le développement du capital humain nécessite d’anticiper les évolutions des postes et, de manière plus générale, les mutations du travail, afin de garantir l’employabilité des salariés. Il fait ainsi partie intégrante d’une politique de GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences).

En matière de développement du capital humain, les outils numériques ont des impacts ambivalents : positifs sur certains aspects, négatifs sur d’autres. D’une part, ils offrent la possibilité d’accéder rapidement (et souvent gratuitement) à une quantité très importante de connaissances, notamment sur des sites tels que Wikipédia, Open Classrooms ou France Université Numérique (FUN). Ils s’avèrent également très utiles pour les entreprises multinationales, qui peuvent organiser à moindre coût des sessions de formation réunissant des salariés dispersés géographiquement. Néanmoins, ils amplifient les inégalités au sein de l’entreprise (phénomène de fracture numérique) et peuvent entraîner des difficultés de concentration et d’apprentissage (liées à leur utilisation en mode multitâche et au stress que leur utilisation génère).

points positifs


Grâce à des possibilités accrues de collecte et d’analyse de données, le numérique permet de mettre en place une Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences (GPEC) dynamique. Il facilite également grandement l’accès à la connaissance et sa transmission par :
  • Une meilleure accessibilité à la formation. Il n’y a plus systématiquement nécessité de se déplacer vers des centres urbains. Il est possible d’adapter son rythme d’apprentissage à sa charge de travail en suivant des modules de formation au jour et à l’heure que l’on souhaite ;
  • Une possibilité accrue d’échange entre apprenants même lorsqu’ils sont éloignés géographiquement ;
  • L’apprentissage continu de nouveaux outils, qui favorise l’employabilité des salariés ;
  • La conception de formations dont le contenu s’adapte automatiquement à la vitesse de progression du participant et à ses réussites et difficultés d’apprentissage ;
  • Une meilleure représentation des phénomènes et une meilleure illustration des concepts théoriques grâce aux outils multimédia (audio, vidéo, infographie dynamique, animations 3D, réalité virtuelle, etc.) ;
  • De nouvelles méthodes pédagogiques plus stimulantes pour les apprenants (pédagogies actives, apprentissage de pair-à-pair, ludification/gamification des formations, etc.).

points de vigilance


Dans le même temps, les outils numériques peuvent appauvrir le processus d’apprentissage, renforcer l’isolement des individus et engendrer de nouvelles inégalités. Pour un usage responsable et vertueux du numérique, il convient d’être vigilant sur :
  • Le risque de dispersion et le surcroît de stress occasionnés par l’utilisation de certains outils tels que les courriels et les réseaux sociaux numériques. Ces deux facteurs nuisent grandement à la mémorisation des informations par l’apprenant ;
  • L’affaiblissement des contacts humains et la possibilité pour les participants d’enrichir une formation par le co-apprentissage et le partage d’information ;
  • Les inégalités d’accès et de maîtrise des outils numériques. A l’échelle de l’entreprise, tous les collaborateurs n’ont par exemple pas forcément d’adresse e-mail d’entreprise, ou l’accès à un poste informatique, en particulier lorsqu’ils exercent un métier manuel.

recommandations


Afin de tirer profit des bienfaits apportés par le numérique tout en limitant ses travers, nos recommandations sont les suivantes :
  • Identifier et accompagner les publics rencontrant des difficultés à accéder et utiliser les outils numériques ;
  • Concevoir des dispositifs d’apprentissage hybrides (blended learning) reposant à la fois sur du présentiel et du distanciel, de l’humain, du papier et du numérique ;
  • Concevoir des dispositifs d’apprentissage reposant sur des pédagogies actives (peer-learning, pédagogie de projet, classe inversée, communauté d’apprentissage, etc.) ;
  • N’utiliser un outil numérique que lorsqu’il apporte une plus-value pédagogique clairement identifiable et que son impact écologique reste limité.

retour d'expérience


Interxion est un fournisseur européen de services de data centers de colocation neutres vis-à-vis des opérateurs Télécom et des fournisseurs de cloud. Interxion met en œuvre un budget annuel de formation significatif afin de permettre à l’ensemble des salariés de pouvoir bénéficier de formation notamment pour renforcer et améliorer leurs compétences métiers.


3. la robotisation / automatisation

Avec le développement de l’intelligence artificielle, plusieurs types d’automatisation évoluent, résolvant plusieurs types de tâches et donc, impactant plusieurs types d’emploi (6) :
  • L’automatisation via les algorithmes informatiques, qui concerne l’automatisation des tâches simples effectuées sur ordinateur et l’analyse de données (touchant notamment les domaines de la finance, l’innovation, les communications) ;
  • L’intelligence augmentée qui permet l’automatisation des tâches répétitives, sur ordinateurs ou par des drones /robots (remplissage de formulaires, échange d’informations au sein d’un système dynamique…) ;
  • L’intelligence autonome : elle permet la réalisation de travaux manuels et la résolution de problèmes dans des situations réelles (les robots de chaînes d’assemblement en sont l’illustration évidente mais pour un exemple plus actuel, nous pouvons citer les voitures autonomes).

Ces technologies impacteront plus fortement les pays basés sur une économie de service. Un enjeu important pour la France puisque qu’après l’étude de données de 29 pays (7), le cabinet PWC place le pays en 7ème place en matière de taux d’automatisation potentielle en 2030. Face à ces changements rapides, il s’agit d’être vigilant afin de saisir les opportunités et limiter les dangers de cette situation.

points positifs 


L’automatisation peut être une source de croissance économique, de création nette d’emplois à moyen terme et d’amélioration des conditions de travail. L’automatisation de l’emploi représente une potentielle opportunité pour l’économie en termes :
  • De productivité et d’innovation pour la création de produit et service. Un système efficace qui permettra 
> d’une part une hausse des salaires face à la performance accrue 
> d’autre part une hausse du pouvoir d’achat face à la diminution des prix des produits 
> de placer l’innovation technologique à la base de la production, un système mettant en avant la satisfaction du besoin des clients.
  • De création d’emploi : 
> car ces nouvelles technologies nécessitent de nouvelles compétences et donc de nouveaux emplois 
> car la hausse du pouvoir d’achat augmentera la demande, de la production, générant ainsi encore plus d’emplois même hors du contexte professionnel de l’automatisation

points de vigilance


Il faut cependant être prudent face à ces constats. Si l’automatisation et la robotisation permettent de créer de la richesse, il faut également s’intéresser à la manière dont elle sera redistribuée. En effet, les conséquences sur la structure de l’emploi peuvent être dangereuses. Selon une étude récente de PWC, 37% des travailleurs interrogés se déclarent ainsi inquiets quant à l’éventualité de perdre leur métier au profit de cette automatisation qui pourrait pourtant faire progresser le PIB mondial de 14% d’ici 2030. Le phénomène qui touche d’abord la fabrication industrielle (suivi de près par la distribution et la vente), met d’abord en péril les emplois des individus ayant un faible niveau d’étude (51%, contre 14% pour les personnes ayant un haut niveau d’étude selon l’étude du cabinet).

recommandations


L’automatisation et la robotisation sont un changement technologique basé sur l’innovation dont les avantages peuvent paraître évidents pour certains mais les conséquences à court terme présentent également des risques importants. Il s’agit d’anticiper et faciliter la transition pour les publics oubliés par les opportunités créées. Face aux vagues d’automatisation, le secteur privé et les pouvoirs publics doivent ainsi mettre en place des mesures pour répondre à trois enjeux clés :
  • Adapter les modèles d’éducation et de formation continue pour assurer l’employabilité des travailleurs face aux évolutions technologiques ;
  • Investir dans la création d’emplois afin de saisir pleinement l’opportunité des nouveaux métiers créés par l’automatisation ;
  • Mettre en place des mesures sociales d’aide pour les populations qui s’adapteront difficilement à ces mutations
Partager sur
2. Définition de l’ubérisation, e-rse.net https://e-rse.net/definitions/uberisation-definition/
3. étude Sourcing cadres, APEC, Juin 2018 https://corporate.apec.fr/home/espace-medias/sourcing-cadres-edition-2018.html
4. Notation des salariés : l’autre guerre des étoiles, Libération, 29 mars 2018 https://www.liberation.fr/france/2018/03/29/notationdes-salaries-l-autre-guerre-des-etoiles_1639923
5. Le dénigrement sur Facebook est un motif de licenciement, Le Figaro, 23 novembre 2010 http://www.lefigaro.fr/emploi/2010/11/19/01010-20101119ARTFIG00356-le-denigrement-sur-facebook-est-un-motif-de-licenciement.php
6. Plusieurs vagues d’automatisation aux conséquences différentes, PwC France, Février 2018 https://www.pwc.fr/fr/publications/innovation/ia-robotique-automatisation-quels-impacts-sur-metiers.html
7. Will robots really steal our jobs?, PwC France, 2018 https://www.pwc.fr/fr/assets/files/pdf/2018/02/impact-of-automation-onjobs-international-analysis-final%20report-feb-2018.pdf